Interview d’Etienne Pottier sur le blog Souffle Chaud
Le Purgatoire céramique d’Étienne Pottier : Entre Art de la Guerre et poésie visuelle
C’est au cœur du 17ème arrondissement que nous avons rendez-vous avec Étienne, artiste touche-à-tout, dont la dernière passion en date n’est autre que la céramique. Entre ses mains naissent les reliques d’un monde parallèle hanté, inspiré de la réalité quotidienne. Armures, masques, talismans et créatures chimériques habillent les recoins de l’atelier parisien, transformé en un véritable sanctuaire païen aux multiples influences.
Entre contes, légendes et spiritualités contemporaines, Étienne développe, sous le regard de ces progénitures, un univers composite où l’utilisation des symboles est la clef de voûte. Au centre de sa meute artisanale, le jeune artiste est un loup meneur qui attaque et défend son territoire par le feu de la création. Pas à pas, tout en restant sur nos gardes, nous nous préparons à entrer dans un monde onirique peuplé de créatures hybrides aussi sombres qu’intriguantes. Hypnotisés par les reflets de l’émail et charmés par l’atmosphère du lieu, nous fermons les yeux et nous laissons emporter.
À quel moment as-tu eu ton déclic créatif ? Autrement dit, quand est-ce que tu as réalisé que tu souhaitais faire de ta passion un métier ?
Étienne : La fameuse question de la vocation artistique ! À vrai dire, si je regarde un peu en arrière, je dirais que c’est un mélange de choses qui me sont arrivées et d’envies qui m’ont suivi au fil des années. Je me revois par exemple en primaire, au fond de la classe, en train de faire des dessins avec un ami à moi. Au-delà de cette affinité pour le dessin que j’ai développé très jeune, je pense que mon attachement à l’Art s’est renforcé grâce au soutien familial dont j’ai bénéficié. Quand j’étais au lycée, j’étais plutôt un cancre. Au fur et à mesure que mes notes diminuaient, ma mère a compris qu’il fallait que je m’oriente vers la seule discipline dans laquelle j’avais un savoir-faire : le dessin. C’est un peu comme ça que tout à commencé.
Peux-tu nous parler des étapes de ton cheminement artistique ?
Étienne : On va dire que j’ai commencé par le dessin et que c’est en quelque sorte mon médium de prédilection. Au cours de mes années aux Arts Décoratifs de Paris par exemple, j’ai réalisé un roman graphique qui a eu la chance d’être édité. Par la suite, j’ai complètement arrêté la bande dessinée car j’ai compris que je n’étais pas intéressé par l’écriture de scénarios mais bel et bien la création d’images. Je suis convaincu que le dessin est la base de tout. Finalement, chaque projet, quel que soit le support, nécessite un dessin préparatoire. C’est automatique, quand j’ai une idée, je ne pose pas des mots dans un carnet, je réalise un croquis en quelques coups de crayons.
Au sortir des Arts Décoratifs, Étienne est plus que jamais avide de connaissances et d’expérimentations. L’artiste qui sommeille en lui n’est pas encore certain de ce qu’il veut accomplir. Une chose est sûre : il veut créer, donner vie à un univers qui lui est propre.
Étienne : Après mes études, je me suis pas mal perdu. J’ai exploré beaucoup de pistes, sans pour autant avoir une révélation. J’ai touché du doigt la bande dessinée, la gravure ou encore la photographie tout en continuant mes recherches en parallèle. Pendant cette période de doutes, j’ai énormément tâtonné, fait de nombreuses erreurs, produit des œuvres qui ne verront certainement jamais le jour.
Comment est-ce que tu as découvert la céramique et qu’est-ce qui t’a donné envie d’essayer ?
Étienne : Tout est parti d’une rencontre. Une copine m’a demandé de l’accompagner à Saint-Denis dans un atelier où elle pratiquait elle-même la céramique. Cet après-midi là, j’ai rencontré le créateur du studio et très vite il a compris mon intérêt pour cet art. Dans la foulée, je lui ai demandé si je pouvais travailler chez moi et ramener mes pièces là-bas pour les cuire. En quelques mois seulement, j’ai acheté un gros four de cuisson que j’ai installé dans son atelier et au fil du temps on est devenu amis. C’est assez drôle de se dire que sans ce concours de circonstance je ne ferais certainement pas de céramique aujourd’hui.
Qu’est-ce qui te plaît dans le travail de la céramique ?
Étienne : La céramique m’attire depuis très longtemps mais je n’ai sauté le pas que très récemment. Avec un peu de recul, je pense que je me suis trop enfermé dans ma pratique du dessin. Cependant, à partir du moment où j’ai commencé à travailler la terre, j’ai tout de suite compris que j’aimais créer des éléments en volume. Ce qui me plaît c’est la liberté que je ressens quand je réalise des objets en céramique. Ils peuvent être portés ou simplement être posés sur une étagère mais dans tous les cas, ils vivent et font vivre la pièce dans laquelle ils se trouvent. Je n’abandonne pas pour autant l’illustration. En ce moment, d’ailleurs, je suis dans une période où je mélange les pratiques et les supports : je me sers de la céramique comme toile et je dessine directement dessus.
“J’aime beaucoup la surprise de la matière : on crée humblement quelque chose en pensant maîtriser une certaine technique, mais avec la céramique, il y a toujours une surprise à la fin du processus.”
Quand on regarde ton travail, on peut parfois avoir l’impression qu’il est sombre. Est-ce que tu es d’accord avec ce constat ?
Étienne : C’est un sujet assez complexe. En effet, j’ai de moins en moins envie de tendre vers une certaine forme d’obscurité. Cela peut paraître paradoxal, mais je suis quelqu’un de très solaire, même si cela ne se voit pas toujours dans mes œuvres. Je pense que la noirceur me vient de mes influences et, qu’étant imprégnée au plus profond de moi, elle revient au galop, sans que je puisse m’en rendre compte. C’est à la fois quelque chose que je combat et quelque chose que je cultive. Plus jeune, j’ai été bercé au black métal et j’ai même fait de la batterie dans un groupe au lycée. À l’époque, on était à la recherche de la provocation, comme avec nos t-shirts à l’imagerie toujours plus trash, toujours plus choquante. Par la suite, j’ai continué à me construire dans la sphère punk, puis dans les free parties, des univers résolument rebelles et libertaires, sans limites et parfois autodestructeurs. Je suis convaincu que cette partie de moi, vécue dans ma jeunesse, est toujours en vie et me suis dans mon processus de création. Au fond, je recherche simplement l’émotion.
“Je ne dis pas que mon travail n’est pas conceptuel, mais ce n’est pas l’idée ou le message qui me guident.”
Quel est le message qui se cache derrière tes œuvres ?
Étienne : De manière générale, je n’aime pas expliciter ce qui peut subsister derrière mes créations. D’ailleurs, je ne sais même pas si cela serait concrètement faisable. En effet, dans le temps de production, je pense à un million de choses et un million de choses me traverse l’esprit. Plus je crée plus j’apprends à me connaître. Résumer une œuvre ou un ensemble d’œuvres me paraît fondamentalement réducteur. J’aime beaucoup cette phrase d’un humoriste qui synthétise ma position sur ce sujet : “Expliquer l’humour c’est comme disséquer une grenouille, on apprend plein de choses mais à la fin la grenouille est morte”. Je suis pour la liberté d’interprétation et je préfère que chaque personne se construise sa propre opinion. Chacun voit ce qu’il a envie de voir. À partir du moment où l’œuvre est sujette à des regards extérieurs, son sens ne m’appartient plus. En quelque sorte, elle devient libre à son tour. L’imagination est collective et c’est cela qui me plait.
Qu’est-ce qui influence ton travail au quotidien ?
Étienne : Je pense qu’être artiste au 21ème siècle c’est assumer le rôle d’éponge de ce qui se passe au sein de notre société. On absorbe ce qu’on voit sur internet, dans les médias et dans notre quotidien. Finalement, on ne crée pas de la même façon d’une décennie à l’autre car le contexte global dans lequel on évolue est en perpétuel mouvement. Créer c’est ingurgiter des fragments de la société moderne et les régurgiter en une matière nouvelle. Je me sers des conflits, des symboles religieux, de l’actualité et même parfois des codes de la pornographie pour donner naissance à mes œuvres. Tout me parle et m’inspire. C’est peut-être là où je m’inscris en faux par rapport à bon nombre d’artistes contemporains qui, aveuglés par une forme lascive de premier degré, cherchent à tout analyser et tout expliquer. Personnellement, je préfère considérer mon travail comme une expression poétique et visuelle de la réalité. La poésie c’est quelque chose qui nous échappe, c’est une sorte de mystère qui, même avec tous les efforts du monde, ne pourra jamais entièrement être résolu. J’aime ce flou dans lequel cela me situe.
Qu’est-ce qui te plait dans l’acte de création ?
Étienne : Quand je termine de peindre ou de dessiner, je regarde ma production pendant de longues minutes et j’essaye d’en tirer une forme de satisfaction, de fierté. Je vois dans ces jeunes œuvres une surprise, un renouvellement constant. Bien évidemment, je ne suis pas toujours satisfait, mais quand je le suis, alors ça m’excite et ça me pousse pour la suite. Je pense que cette envie de faire plus qui me colle à la peau est le moteur de la création. J’ai toujours envie de créer ce que je ne vois pas, c’est ce qui m’anime.
“J’aime bien l’idée de l’artiste qui reste un peu enfant.”
On a cru entendre que tu avais gagné un prix récemment, est-ce que tu peux nous parler de cette expérience ?
Étienne : Au mois de février dernier, j’ai gagné le prix Icart Artistik Rezo qui récompense chaque année un projet d’art contemporain. A priori outsider au vu de la concurrence, j’ai eu la chance d’avoir le soutien du jury, composé de nombreuses personnalités liées à la sphère de l’Art. Il faut dire que ce que je fais n’est pas toujours compris par le plus grand nombre, donc j’ai été assez surpris de cet engouement.
Est-ce que quand tu crées, tu penses à l’après ?
Étienne : Je pense que tout l’intérêt de l’Art et de la création est d’arriver à réinventer sa propre écriture. Si on m’avait dit il y a quelques années que je dessinerais des femmes nues, je n’y aurais pas cru. Pour autant, ce choix s’est fait assez naturellement, sans vouloir ni offenser, ni scandaliser qui que ce soit. Pour moi, l’exploration de nouvelles pistes est un besoin presque vital, même si je suis conscient qu’à l’échelle du monde, tout à déjà été touché du doigt en termes d’images. Je pense qu’il faut davantage se concentrer sur la création d’un univers et d’une cohérence stylistique personnelle.
Quels sont tes projets pour la suite ?
Étienne : Grâce au prix Icart Artistik Rezo, je vais avoir la chance d’exposer une partie de mon travail pendant trois jours à l’Éléphant Paname, du 23 au 25 novembre (10 rue Volney, Paris II). Il s’agit de ma plus grosse installation de céramique : près d’une tonne de matière ! Dans un deuxième temps, la récompense m’a aussi permis de rencontrer Adeline Jeudy. Une semaine après notre rencontre, elle était chez moi, et je lui présentais une partie de mes oeuvres. Le feeling est tout de suite passé entre nous, aussi bien sur le plan artistique que relationnel. Pour moi, c’était un peu nouveau car c’était la première fois qu’une galerie venait découvrir mon travail et montrait un intérêt particulier pour celui-ci. Suite à nos échanges, Adeline m’a proposé de faire ma propre exposition, en solo, au sein de sa galerie et j’ai accepté. Elle aura lieu du 1er décembre au 12 janvier à la Galerie LJ (12 rue Commines, Paris III). C’est la raison pour laquelle je travaille d’arrache pied depuis six mois. J’essaye de produire un maximum pour que tout soit prêt le moment venu.
C’est sur ces dernières paroles que l’entretien s’achève. Étienne nous laisse une dernière fois nous imprégner de la magie qui règne dans son atelier, librement. Chaque oeuvre nous raconte sa propre histoire : télépathie, témoignages graphiques et testaments. Ici, les personnages prennent humblement vie et se plaisent à narrer des anecdotes imaginaires, parfois romantiques, parfois sinistres. Dans ce labyrinthe artistique où le Minotaure est pluriel, nous découvrons un équilibre entre lyrisme et réalisme. Étienne n’est autre qu’un poète moderne qui sculpte des fables à son image, faisant graviter autour de lui un écosystème créatif harmonieux et complexe.