Swoon “Time Capsule” à Fluctuart dans Télérama
Villes flottantes et chaos urbain : Swoon, la célèbre street artiste enfin exposée à Paris : https://www.telerama.fr/sortir/villes-flottantes-et-chaos-urbain-swoon,-la-celebre-street-artiste-enfin-exposee-a-paris,n6310855.php?fbclid=IwAR1PxctX04u3m7DXXcCahuIDpQV-QlWG_5jkiwVJ6K7WbdV1HmRql0wJP6Y
- Elodie Cabrera
- Publié le 04/07/2019.
Toujours engagée, l’américaine, élabore des œuvres à partir de matériaux fragiles, soudées entre elles par les rencontres. Un art de la résilience au service d’une intelligence collective, qui s’expose actuellement à Paris.
Elle a ce côté un peu stellaire. Swoon entretient une filiation quasi spirituelle avec les forces de la nature, et l’eau en particulier. Celle qui a grandi en Floride, entre marécages et mangroves, vécu un temps sur des radeaux de fortune et accosté au Brooklyn Museum en 2014 avec son exposition Submerged Motherlands, était peut-être prédestinée à investir le nouveau centre d’art flottant qui vient d’ouvrir à Paris. Dans la cale de Fluctuart, on longe les murs de son installation comme les berges d’un fleuve, afin de mieux comprendre les racines de cette plasticienne philanthrope, seule femme à figurer au palmarès des dix plus grands street artistes mondiaux.
Converser avec le chaos urbain
Imaginée à partir des vestiges de sa précédente rétrospective au Musée de Cincinnati en 2017, Time Capsuleest donc, comme l’indique le titre, une machine à remonter le temps. Un palimpseste de dessins en linogravures, portes vétustes et linteaux de bois qui retrace les quinze premières années de sa carrière, indissociables des rencontres qui l’ont jalonnées. Parmi les silhouettes, se distinguent des visages familiers, figures paternelles, amis de longue date, et d’autres, plus anonymes, croqués sur les bords des routes de Cuba au Mexique en passant par l’Europe. Intriguée par la manière dont les différentes communautés construisent leur foyer, elle compare les métropoles à des « organismes vivants. » Et dans ses visions de papiers, découpées à la main, ajourées comme la dentelle, l’ossature des villes tend à se confondre avec la charpente des hommes.
Son attrait pour l’écosystème urbain remonte à 1999, lorsqu’elle s’installe à New York pour étudier l’art à l’Institut Pratt. « J’étais fascinée par mon nouvel environnement, la ville, confie la quadragénaire. Dès mes premières interventions dans la rue, je me demandais comment mes dessins pouvaient interagir avec l’architecture, et plus j’y songeais, plus la notion d’espace prenait de l’importance. »
Pour rejouer ce contexte, chacune de ses excursions en galerie et musée se traduit par des œuvres en trois dimensions de façon à ce que « le corps puisse se mouvoir comme l’œil se balade à l’intérieur d’une toile. » Ces constructions conçues à partir de matériaux de récupération, fragiles et périssables, font à écho à sa philosophie de vie alternative.
Villes flottantes
Swoon, crinière de cuivre et tempérament d’acier, dégage d’emblée une énergie contagieuse. Aussi colossale que les projets artistiques et communautaires qu’elle a mis à flot. Elle a notamment marqué les esprits en construisant, avec les artivistes du collectif Toyshop, sept radeaux qui ont remonté le Mississipi (Miss Rockaway Armada, 2006), navigué sur l’Hudson (Swimming Cities of Switchback Sea, 2008), allant jusqu’à franchir la mer Adriatique depuis la Slovénie pour accoster à la Biennale de Venise où elle était invitée en 2009 (Swimming cities of Serenissima). Une flottille de bric et de broc, à mi-chemin entre performance et habitat autogéré, dont on retrouve quelques restes dans l’exposition parisienne.
Sans distinguo, elle met à sa créativité au service de différents modes d’expression et d’action. « Vivre sur des bateaux en était un, reconstruire des maisons dévastées en est un autre », assure celle qui a créé sa propre fondation humanitaire en 2015 : Héliotrope, impliquée dans plusieurs chantiers, notamment en Haïti, pour rebâtir un village en associant technique artisanale et moderne, et à Philadelphie, auprès de toxicomanes.“L’art s’apparente à une forme de guérison”
Un environnement qui ne lui est pas étranger. « Mes deux parents étaient accros à l’héroïne, comme beaucoup d’autres membres de ma famille. Malgré ma colère, j’ai fini par comprendre qu’ils cherchaient à faire taire une souffrance enfouie », explique la jeune femme, opposant les bienfaits de la thérapie à la pénalisation du système américain.
On comprend mieux dès lors pourquoi « l’art s’apparente à une forme de guérison », de catharsis. Des grands désastres aux plaies intimes, il y a chez Swoon cette volonté d’endiguer, de rafistoler. D’embellir aussi. Un caractère flower power assumé, issu de l’héritage familial, tout comme son nom civil très woodstockien, Caledonia Dance Curry. Intuitive, elle décrit son processus créatif comme une suite de tâtonnements, largement guidé par le subconscient. Depuis un an, Swoon se consacre exclusivement à la vidéo en stop motion. « Pour le moment, j’ai besoin de solitude, d’obscurité, pour me sentir aussi ingénue qu’un enfant, un non-sachant, afin que quelque chose de nouveau puisse germer. »
A VOIR : Exposition Time Capsule, jusqu’au 22 septembre, centre d’art urbain Fluctuart, Port du Gros Caillou (7e). Entrée gratuite.